Chapitre 50
Le lendemain matin, la lueur hivernale perçait timidement à travers les hautes fenêtres, illuminant la table du petit déjeuner installée dans leurs appartements. L'odeur du café fumant et du pain grillé emplissait l'air, mêlée aux effluves de la cire des bougies. Brittany, emmitouflée dans une robe de chambre bien trop grande — celle de Severus, en réalité — triturait nerveusement une décoration de Noêl entre ses doigts tandis que son mari, assis en face d'elle, fixait d'un air mal à l'aise la petite pile de cadeaux qui lui étaient destinés.
— Tu comptes les ouvrir d'ici Pâques ? lança-t-elle, amusée.
Rogue leva les yeux vers elle, haussa un sourcil, puis attrapa maladroitement le premier paquet. Il n'avait jamais reçu beaucoup de cadeaux. Il n'en attendait d'ailleurs jamais, et l'idée même d'en ouvrir devant témoin le rendait nerveux. Ses doigts fins délièrent le ruban avec une précision presque chirurgicale, et il découvrit un livre rare sur les potions obscures. Il resta silencieux, mais son regard s'attarda un peu trop longtemps sur la couverture. Brittany observa discrètement cette hésitation et esquissa un sourire satisfait.
— Très bon choix, merci, finit-il par dire, sa voix plus rauque que d'habitude.
Brittany lui tendit un second paquet, un sourire malicieux aux lèvres.
— Celui-ci est plus… pratique, précisa-t-elle d'un ton innocent.
Rogue haussa un sourcil méfiant avant de déchirer l'emballage. Deux boules quies en sortirent, soigneusement emballées dans un petit écrin.
— Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda-t-il, perplexe.
— Des boules quies, répondit Brittany, triomphante. Pour que tu arrêtes de te plaindre de mes soi-disant ronflements.
Rogue leva les yeux au ciel, mais une ombre de sourire passa sur son visage. Avec un soupir, il attrapa le dernier paquet. Il en sortit une écharpe noire, élégamment brodée de runes argentées.
— Il paraît que les enchantements qu'elle porte sont très puissants, expliqua Brittany avec un air faussement détaché. Bon, comme je ne suis pas une experte, je suppose qu'au pire, elle te tiendra chaud.
Rogue passa lentement ses doigts sur le tissu, lisant les runes comme on effleure un secret. Il releva les yeux vers elle, son regard plus doux qu'il ne l'aurait voulu.
— Cela me protégera au moins de tes tentatives douteuses de me soigner, et c'est déjà beaucoup.
Brittany fit mine d'être outrée avant de secouer la tête avec amusement. Rogue, quant à lui, enroula l'écharpe autour de son cou, oubliant un instant qu'il était encore en pyjama.
Après une pause, il se leva sans un mot et revint quelques instants plus tard, un petit paquet dans la main. Brittany, intriguée, l'ouvrit avec précaution. À l'intérieur reposait un bracelet délicat, orné d'une pierre discrète. Elle resta un instant figée, le souffle court.
— Tu as... vraiment choisi ça ? demanda-t-elle, tentant de cacher maladroitement son émotion. Ou c'est Albus qui l'a commandé ?
Un rictus étira légèrement les lèvres de Rogue, presque imperceptible.
— Albus ne choisit pas mes cadeaux, répliqua-t-il avec un soupçon de fierté. Ça, c'est de moi.
Brittany baissa les yeux sur le bracelet, le cœur battant un peu trop vite. Il l'attacha autour de son poignet et elle effleura la pierre du bout des doigts.
— Merci, murmura-t-elle en enlaçant son mari.
Mais avant que l'un d'eux ne puisse ajouter quoi que ce soit, la cheminée prit une teinte émeraude, projetant des ombres mouvantes sur les murs. La tête de Dumbledore venait de surgir de l'âtre, forçant le couple à se séparer brusquement.
— Joyeux Noël à tous les deux ! déclara-t-il joyeusement.
Rogue et Brittany échangèrent un regard paniqué. Avait-il vu quelque chose ? Pourquoi apparaissait-il ainsi, sans prévenir ?
— Auriez-vous l'amabilité de venir quelques instants dans mon bureaus'il vous plait?
oOoOo
Les couloirs de Poudlard étaient calmes, bercés par la douce torpeur des vacances. Rogue marchait d'un pas rapide, sa robe flottant derrière lui, tandis que Brittany, plus réservée, tentait de masquer son appréhension.
— Qu'est-ce qu'il nous veut ? murmura-t-elle.
— Bonne question, grogna Rogue.
Arrivés devant la gargouille, le passage s'ouvrit immédiatement, signe que Dumbledore les attendait avec impatience. À peine entrés, ils furent accueillis par l'odeur du thé infusé et un Dumbledore confortablement installé derrière son bureau.
— Asseyez-vous, je vous en prie. Du thé ?
— Non, merci, refusèrent-ils en chœur.
Dumbledore, imperturbable, leur servit tout de même deux tasses et les poussa vers eux. Rogue leva les yeux au ciel tandis que Brittany jetait un regard méfiant au liquide ambré.
— Bien, dit le directeur en croisant les doigts. J'ai remarqué que vous vous ignoriez ces derniers jours. Depuis votre agression, Brittany. Que se passe-t-il?
— Rien de spécial, Albus. Nous n'avons juste rien à nous dire, répliqua Rogue d'un ton tranchant.
— Je vais reformuler plus clairement ma question: que s'est-il passé à cette soirée pour que vous ne vous adressiez plus la parole?
Brittany réfléchit à toute vitesse. La veille, ils s'étaient ignorés. Albus voulait qu'ils se parlent ? Très bien, elle allait lui donner de la discussion. Et tant qu'à faire, elle comptait en rajouter suffisamment pour qu'il se demande s'il n'aurait pas mieux fait de les laisser tranquilles. Elle se prépara à ouvrir les hostilités.
Brittany croisa les bras, prit un air agacé et lâcha, sa voix vibrante d'une fausse indignation :
— Oh mais s'il n'y avait que cette soirée, Albus. Il est insupportable. Il soupire à chacun de mes gestes. Il lève les yeux dès que je parle. Tenez! Regardez! Il me traite comme une moins que rien! Il me déteste! Alors on a pris le parti de s'ignorer, c'est ce qu'il y a de mieux à faire.
Elle accompagna ses paroles d'un regard appuyé vers Rogue, qui, fidèle à lui-même, resta impassible, se contentant d'un léger reniflement méprisant. Mais sous son masque d'indifférence, Severus comprit aussitôt où elle voulait en venir. Un bref éclair d'amusement passa dans son regard, vite réprimé. Très bien. S'ils devaient donner un spectacle, autant le faire en grand.
— Pardonne-moi, Madame l'incarnation de la perfection absolue ! Vraiment, quelle épreuve pour toi que de cohabiter avec un être aussi détestable que moi ! Je devrais sans doute m'incliner devant ta grandeur et accepter mon sort sans broncher ? Après tout, ce n'est pas toi qui transformes nos appartements en capharnaüm, qui accumules les catastrophes en présence du Seigneur des Ténèbres, et qui fais de notre espace de vie une extension du bureau de poste de Pré-au-Lard ! À ce stade, je devrais peut-être envisager de troquer ma baguette contre des plumes et un perchoir, vu que je semble condamné à vivre parmi les hiboux ! Mais bien sûr, c'est moi l'insupportable !
Dumbledore se racla bruyamment la gorge pour interrompre leur échange acide. Il esquissa un sourire qu'il espérait apaisant et changea de sujet et coupa Brittany qui s'apprêtait à répliquer.
— Pour Noël, j'ai tenu à vous offrir quelque chose de spécial.
Il sortit un parchemin et le leur tendit. Rogue le déroula et lut à haute voix :
— "Bon pour un dîner au restaurant La Salamandre Dorée"... Vous vous foutez de nous, Albus ?
Dumbledore leva un sourcil devant l'absence totale de gratitude.
— Vous ne vous supportez pas, c'est entendu, mais il serait temps d'au moins en donner l'illusion. Vous aviez pourtant montré un certain enthousiasme pour ce genre d'expérience, si ma mémoire est bonne.
Rogue grogna.
— Le Seigneur des Ténèbres est déjà convaincu par notre relation, merci bien. Pas besoin de jouer la comédie 24h/24.
— Et quid des enfants de Mangemorts ? La tension entre vous hier soir n'a échappé à personne.
— Aucun d'entre eux n'était prés…
Dumbledore posa sa tasse, lissa sa barbe et les fixa intensément.
— Maintenant, écoutez-moi bien, tous les deux. J'ai tout accepté. Vos chamailleries, vos caprices, vos manigances. Mais là, j'en ai assez. Vous allez immédiatement mettre fin à cette mascarade et vous comporter comme un couple digne de ce nom. Je veux vous voir ensemble, ai-je été suffisamment clair ?
Rogue et Brittany échangèrent un regard, impassibles, avant que Brittany ne s'installe plus confortablement dans son fauteuil, croisant les jambes avec un sourire amusé.
— En même temps, le cadeau d'Albus est mieux que le tien, lâcha-t-elle.
— Quel cadeau ? s'étonna Rogue.
— Justement, la moindre des choses aurait été de m'en faire un.
— Pour quoi faire ? Tu ne te sers pas déjà assez dans mon coffre toute l'année ?
Dumbledore, qui tentait de calmer sa tension, observa la dispute monter en puissance avec une fascination mêlée d'effroi.
— L'argent qu'il y a dans ce coffre, il me semble que c'est le mien !
— Tu insinues quoi ? Que je t'ai attendu pour gagner ma vie ? Ça fait vingt ans que je me farcis des crétins toute la journée, payé une misère ! Pendant que Madame se prélassait, à attendre que le temps passe ! Et je ne parle même pas de mon deuxième emploi d'espion pour lequel je ne suis absolument pas rémunéré!
— Espion, vraiment ? Parce qu'assister à des dîners mondains en écoutant les Mangemorts fanfaronner sur leur suprématie, c'est un travail maintenant ?
— Ah, bien sûr, je devrais sans doute leur poser des questions, prendre des notes et leur demander poliment leurs plans de guerre. Mais vois-tu, je suis un peu occupé à jouer les preux chevaliers pour une certaine personne qui a le don de se mettre dans des situations impossibles.
— Preux chevalier? Tu ressembles plutôt à un vieux vampire acariâtre!
— Vieux vampire acariâtre ? C'est presque flatteur comparé à ce que je pense réellement de toi. J'ose espérer que tu ne te compares pas à une princ…
Dumbledore cligna des yeux. Puis il cligna encore. Était-il en train d'halluciner ?
— Brittany, Severus, arrêtez ça immédiatement avant que je ne perde le peu de patience qu'il me reste …
Mais ils continuaient, imperturbables, enchaînant les piques acerbes avec une hargne théâtrale.
Dumbledore, enfin, poussa un profond soupir et porta sa main à son front.
— Merlin, qu'ai-je fait… murmura-t-il, soudainement épuisé.
Rogue et Brittany échangèrent un regard complice.
— Vous voyez bien, Albus, on passe déjà trop de temps ensemble, commenta Brittany avec une fausse gravité.
— Hélas, acquiesça Rogue en retenant un sourire.
Dumbledore, cette fois, ferma les yeux et pinça l'arête de son nez.
— Partez, je ne veux plus vous voir.
— Il faudrait tout de même savoir ce que vous voulez, Albus.
Rogue se leva prestement, et passa la porte du bureau. Brittany s'apprêtait à le suivre, mais fit demi-tour et récupéra le bon pour le repas laissé sur le bureau. A son poignet, la petite pierre scintilla.
Le regard d'Albus se posa sur le bracelet, puis il regarda la jeune femme franchir la porte de son bureau. Une petite étincelle se fit dans sa tête. Est-ce qu'il avait rêvé?
Ils se tutoyaient. Par Merlin, il venait de se rendre compte qu'ils se tutoyaient! Cela signifiait qu'ils avaient franchi un cap, qu'ils étaient plus … intimes. Et ce bracelet ne faisait que confirmer son intuition. C'était forcément un cadeau de Severus.
Il se retourna vers sa cheminée, s'agenouilla, et cria, tout excité:
— Minnie! Ils se tutoient! J'avais raison!
