Chapitre 54
La Salle sur Demande s'était métamorphosée en une vaste étendue étoilée. Le plafond, parsemé de constellations lumineuses, diffusait une lueur tamisée qui dansait sur les murs sombres. Une large baie vitrée enchantée offrait une vue imprenable sur un ciel infini, donnant l'illusion que la pièce dérivait entre les étoiles. Au centre, un tapis épais invitait à s'asseoir et à contempler l'immensité du cosmos.
Brittany tourna lentement sur elle-même, fascinée par la beauté du spectacle.
— C'est incroyable… souffla-t-elle, les yeux brillants.
Rogue, adossé contre l'un des piliers de pierre de la pièce, croisa les bras, feignant l'indifférence.
— Ça fera l'affaire, répondit-il d'un ton neutre.
Elle se retourna vers lui, un sourire amusé aux lèvres.
— Tu es un grand romantique.
Un sourcil s'arqua lentement sur le visage du maître des potions, et il la fixa d'un air sceptique.
— Romantique ?
Brittany s'approcha, le regard malicieux.
— Un instant suspendu sous les étoiles, rien que nous deux… Elle le regarda, une lueur curieuse dans les yeux. Tu ne fais jamais rien au hasard, Severus.
Il la scruta un instant, luttant contre un sourire qui menaçait de le trahir.
— Je voulais simplement être tranquille deux minutes. Cette salle n'en fait qu'à sa tête.
— Bien sûr, répondit-elle avec un sourire entendu.
Il soupira, puis détourna les yeux vers la voûte céleste qui s'étendait au-dessus d'eux. Peut-être, après tout.
— Merci d'avoir joué le jeu aujourd'hui. Je sais que ça n'a pas été facile, dit-elle doucement.
Mais avant qu'il ne puisse répondre, une brûlure familière lui lacéra le bras gauche. Il tressaillit violemment. L'espace d'un instant, il espéra que Brittany ne l'avait pas remarqué, mais son regard inquiet fixé sur lui prouvait le contraire.
— Severus ?
Son expression se referma aussitôt.
— Je dois y aller.
— Attends, qu'est-ce que—
— A toute à l'heure, coupa-t-il sèchement, avant de disparaître derrière la porte.
Brittany serra les poings, la déception et l'inquiétude nouant son ventre.
Lorsque Rogue revint à Poudlard cette nuit-là, il était livide. Son teint, d'ordinaire pâle, semblait avoir perdu toute trace de chaleur, et sa mâchoire était si crispée qu'on aurait cru qu'il se retenait d'exploser. Il traversa les couloirs du château d'un pas rapide, sa cape flottant derrière lui, et ne s'arrêta que devant le bureau de Dumbledore. Trois coups secs résonnèrent contre le bois. Il n'attendit pas d'y être invité pour entrer.
— Albus, il a décidé de confier une mission à Brittany …
Dumbledore, assis derrière son bureau, releva lentement les yeux au-dessus de ses lunettes en demi-lune.
— Elle doit capturer un centaure, précisa Rogue après un bref silence, son ton chargé de dégoût.
Dumbledore ferma brièvement les paupières, comme si cette révélation venait confirmer ses pires craintes.
— Tom devient de plus en plus fébrile, murmura-t-il.
— Ce n'est pas qu'une question de fébrilité, rétorqua Rogue d'une voix acerbe. Il cherche des réponses. Les centaures lisent les signes du destin dans les astres. Le Seigneur des Ténèbres sait que la prophétie liée à Potter lui a déjà échappé. Il craint qu'il y ait d'autres visions, d'autres présages qui lui soient inconnus. Il veut s'assurer que rien ne lui échappe.
Il marqua une pause avant d'ajouter, d'une voix plus sombre encore :
— S'il arrive à en capturer un, il le forcera à parler. Il lui arrachera ce qu'il veut savoir. Sur l'avenir. Sur sa propre survie. Sur sa possible défaite.
Le silence s'épaissit dans le bureau, seulement troublé par le bruissement des flammes dans l'âtre.
— C'est insensé, reprit-il.
Rogue se mit à faire les cent pas, son agitation trahissant l'inquiétude qu'il peinait à contenir.
— Les centaures sont des combattants féroces. Même une armée de Mangemorts ne pourrait pas en capturer un, et encore moins Brittany, seule ! Elle n'a même pas de baguette!
Il se tourna vers Dumbledore, les yeux brûlant de désespoir.
— Il cherche à la tuer.
— Non, répondit Dumbledore posément. Il veut la tester. C'était … attendu.
Dumbledore se leva lentement, s'appuyant légèrement sur son bureau.
— Tom ne s'attend pas à ce qu'elle réussisse. Mais il veut voir jusqu'où elle est prête à aller pour lui.
— Et s'il considère qu'elle n'a pas fait assez d'efforts ?
— Alors elle sera en danger. Et vous aussi.
Rogue inspira profondément, cherchant désespérément une échappatoire.
— Elle ne peut pas faire ça.
— Elle doit au moins essayer. Donner l'illusion qu'elle obéit.
Un silence glacé s'abattit dans la pièce. Rogue serra les poings.
— Alors nous devons en parler à Hagrid. Lui seul pourra—
— Non. Dumbledore coupa court avec une fermeté inhabituelle. Hagrid ne doit rien savoir.
— C'est une folie ! explosa Rogue.
— Hagrid s'opposerait farouchement à cela, et il pourrait mettre involontairement Brittany dans une situation délicate vis-à-vis de Tom.
— Il nous aiderait ! Il pourrait parler aux centaures, nous donner une alternative !
— C'est justement ce que nous devons éviter. Si Brittany va vers eux seule, elle a peut-être une chance d'établir un lien. Avec Hagrid, ils seront sur la défensive.
Rogue avait envie de hurler.
— Il est hors de question que Brittany s'approche des centaures, vous m'entendez, Albus? Elle n'établira de lien avec personne, on ne prendra pas ce risque. Vous êtes passé de «Brittany doit donner l'illusion qu'elle obéit» à «Brittany doit établir un lien avec les centaures pour les convaincre d'adhérer à notre cause». Vous me prenez vraiment pour un idiot?
Dumbledore se rassit lentement, mais ses yeux restaient fixés sur lui, d'un bleu perçant.
— Nous devons être intelligents, Severus.
Ses yeux noirs s'emplirent de colère pure.
— Vous vous êtes amusé à jouer aux entremetteurs, n'est-ce pas ? Maintenant que vous avez réussi, je vous interdis de jouer avec elle. Je ne la perdrais pas, Dumbledore, j'espère que c'est clair?
— Vous la perdrez si Tom la convoque et se rend compte qu'elle n'est au courant de rien. Il la tuera si elle ne lui est d'aucune aide… ou il vous tuera. Nous allons gérer cette situation ensemble, Severus. Je vous promets qu'il ne lui arrivera rien.
Rogue resta immobile, les mâchoires crispées, ses poings toujours serrés. Un souvenir qu'il avait longtemps tenté d'enfouir lui revint en mémoire. Lily. Sa trahison. Le moment où il avait compris que Voldemort s'en prendrait à elle et à son fils. Il revoyait ses propres paroles, terrifiées, il revoyait Dumbledore, qui lui avait promis qu'il ferait tout pour la protéger. Et il revoyait son corps sans vie.
Sa voix n'était plus qu'un murmure.
— Vous m'avez déjà fait ce genre de promesse, Albus …
