Chapitre 55
L'appel était tombé tard dans la nuit. Lorsqu'un patronus lumineux était venu chercher Brittany pour l'amener au bureau du directeur, son sang s'était glacé. Son premier réflexe avait été de penser à Severus. Était-il arrivé quelque chose ? Elle avait monté les marches quatre à quatre, le cœur battant, et lorsqu'elle avait poussé la porte du bureau du directeur, ses yeux s'étaient immédiatement posés sur son mari. Il était là. Debout, le dos rigide, ses traits encore plus durs que d'ordinaire. Ce n'était pas lui qui était en danger. C'était elle.
Dumbledore, assis derrière son bureau, lui fit signe d'entrer.
— Asseyez-vous, Brittany, déclara-t-il d'une voix grave.
Elle s'exécuta, non sans adresser un regard inquiet à son mari. Mais Rogue ne la regarda pas.
Dumbledore joignit lentement les mains devant lui et prit une inspiration mesurée.
— Tom vous a confié une mission.
Un frisson glacé parcourut l'échine de Brittany.
— Il veut que vous approchiez les centaures.
Un silence glacial s'abattit sur la pièce. Elle sentit immédiatement Rogue se tendre à ses côtés, comme une corde sur le point de rompre. Brittany, elle, mit quelques secondes à comprendre pleinement ce qu'on lui demandait.
Les centaures. La mission de Drago.
Son esprit fit aussitôt le lien avec Hagrid. "Tu restes loin d'eux, Brittany. Ces créatures n'aiment pas les sorciers. Elles n'oublient pas. Elles n'accordent pas leur confiance, et crois-moi, ce n'est pas faute d'avoir essayé." Elle se souvenait parfaitement du ton grave de son ami lorsqu'il lui avait dit cela. Hagrid les respectait profondément, mais il les craignait tout autant. Leur fierté était inébranlable, et leur hostilité envers les humains bien ancrée. Ils ne pardonnaient pas, ne négociaient pas. Alors que pourrait-elle bien faire face à eux ? Et surtout… cela voulait dire trahir Hagrid. Elle sentit son estomac se nouer.
— Albus, j'ai déjà dit non, lâcha Rogue d'une voix tranchante.
Dumbledore leva calmement la main pour couper court à son opposition.
— Il souhaite que vous établissiez un contact avec eux. Une première approche.
— Hors de question ! gronda Rogue.
Il était furieux, son regard noir rivé sur le directeur, et ses poings étaient crispés. Dumbledore, imperturbable, ignora complètement son agitation et poursuivit :
— Cette mission est délicate. Tom teste votre loyauté, Brittany. Il veut voir jusqu'où vous êtes prête à aller pour lui.
Dumbledore marqua une pause, ses yeux clairs scrutant son visage avec une intensité presque dérangeante. Lorsqu'il reprit, sa voix se fit plus douce, teintée d'un semblant de bienveillance qui ne parvint pas à masquer toute sa froideur calculatrice.
— Vous saviez que cela arriverait, n'est-ce pas ? Que tôt ou tard, il voudrait vous mettre à l'épreuve. Vous avez su jusqu'ici lui donner l'illusion que vous étiez loyale. Il faut continuer. Ce n'est pas seulement pour vous que je vous demande cela, mais aussi pour Severus.
Elle voulait protester. Dire que ce n'était pas une bonne idée, que cela ne fonctionnerait pas. Qu'elle ne voyait pas comment elle réussirait à les approcher. Elle voulait dire à Albus qu'elle avait peur, qu'elle ne voulait pas se retrouver encore face à Voldemort. Mais les mots étaient restés coincés dans sa gorge. Parce qu'au fond, elle savait. Elle pouvait hésiter, redouter, chercher mille raisons de refuser. Mais en réalité, elle n'avait pas le choix. Pas si elle voulait protéger Severus.
Elle tourna légèrement la tête vers lui. Il était toujours aussi tendu, une lueur furieuse brillant dans ses yeux sombres. Son regard lui disait clairement de refuser.
Avant, Brittany aurait blâmé Rogue pour tout ça. Elle l'aurait accusé de l'avoir embarquée dans un monde auquel elle n'appartenait pas. Mais elle ne ressentait plus cela. Aujourd'hui elle avait envie de se battre pour un avenir meilleur, sans mage noir, un avenir qui incluait l'homme sombre à côté d'elle qu'elle n'avait pas envie de perdre.
Elle inspira lentement, la peur comprimant sa poitrine, mais sa détermination la soutenant.
— Très bien.
Sa voix était calme. Résolue. Ce fut comme si elle venait d'allumer un feu dans la pièce.
— Absolument pas ! explosa Rogue.
Il s'était redressé d'un bond, sa cape flottant derrière lui, ses traits déformés par une colère glaciale.
— Tu n'y vas pas, c'est clair ?!
— Severus—
— Tu n'as même pas de baguette ! cracha-t-il. Tu ne sais même pas t'en servir !
— Je sais.
— Alors comment oses-tu seulement envisager d'y aller ?!
— Parce que je n'ai pas le choix, Severus.
Elle marqua une brève pause avant d'ajouter, plus doucement :
— Je ne veux pas qu'il s'en prenne à toi …
Rogue ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Il était figé, comme s'il n'avait pas compris tout de suite le poids de ses mots. Dumbledore, lui, les observa un instant avant de se lever lentement.
— Nous ferons en sorte qu'il ne vous arrive rien Brittany, déclara-t-il d'un ton grave.
Mais Rogue ne l'écoutait déjà plus. Il tourna brusquement les talons et quitta le bureau d'un pas vif. Brittany hésita un instant, puis le suivit.
Le trajet jusqu'à leurs appartements se fit dans un silence glacial. Il ouvrit la porte d'un coup sec et pénétra à l'intérieur sans même attendre sa femme. Brittany referma derrière elle et l'observa. Il faisait les cent pas, sa cape balayant le sol derrière lui, ses mains crispées dans son dos.
— Severus… tenta-t-elle.
Il ne répondit pas. Elle fit un pas vers lui, cherchant à capter son attention, mais il passa devant elle sans lui accorder un regard et disparut dans sa chambre, refermant la porte dans un claquement sec.
Brittany resta immobile quelques secondes, le cœur serré. Elle aurait pu insister. Tenter de parler. Le provoquer pour lui arracher une réaction. Mais elle connaissait Severus Rogue. Et elle savait que, pour l'instant, elle devait le laisser seul. Elle soupira, passa une main lasse sur son visage et se dirigea vers sa propre chambre.
Les heures s'écoulèrent lentement. Brittany se tournait dans son lit, incapable d'apaiser son esprit. Dans la pièce voisine, Severus n'avait pas fermé l'œil non plus. Finalement, il abandonna et se leva. Il se servit un verre de whisky, plus par habitude que par envie, et alla s'asseoir dans son fauteuil. Il resta ainsi, immobile, son regard perdu dans le vide, la mâchoire contractée. Les mots de Brittany tournaient en boucle dans son esprit. «je ne veux pas qu'il s'en prenne à toi». Elle ne mesurait même pas ce que ça signifiait pour lui.
Une heure plus tard, des bruits légers résonnèrent dans l'appartement. Brittany s'était levée à son tour. Drapée dans sa robe de chambre, elle traversa silencieusement le salon pour aller boire un verre d'eau. Elle s'arrêta en apercevant la silhouette de son mari, figée dans la pénombre. Il était assis là, le visage fermé, le verre toujours plein sur la table devant lui. Il n'avait pas bu une seule goutte.
Brittany ouvrit la bouche, cherchant quelque chose à dire. Mais alors que son regard croisait celui de Severus, il lui lança un coup d'œil noir, un avertissement silencieux. Ne dis rien. Elle comprit. Elle se contenta d'avaler son verre d'eau en silence, puis tourna les talons et retourna se coucher.
Quelques minutes plus tard, la porte de sa chambre s'ouvrit doucement. Il resta debout un instant, fixant le vide. Il hésita. Puis, avec un soupir agacé, il s'assit sur le bord du lit avant de s'allonger lentement. Dans l'obscurité, elle tourna légèrement la tête vers lui. Il savait qu'elle le regardait. Qu'elle attendait une explication. Mais il ne lui en offrit qu'une seule :
— Je me suis habitué à ton agaçante présence. Et j'ai froid.
Sa voix était rauque, un peu plus douce que d'habitude. Brittany esquissa un sourire dans l'ombre.
— Tu veux te réchauffer ? Viens là.
Elle ouvrit les bras, et après un instant d'hésitation, il céda, se laissant aller contre elle. Un long silence s'installa. Puis, d'un ton grognon, il ajouta :
— Ne t'imagine pas que tout est réglé. Je suis toujours furieux.
— Je sais, murmura-t-elle en glissant doucement ses doigts dans ses cheveux, dans un geste réconfortant.
Il ne répondit pas. Mais il ne s'éloigna pas non plus. Brittany ferma les yeux, soulagée.
Le lendemain matin, l'atmosphère était toujours glaciale. Rogue buvait son café en silence, plongé dans ses pensées. Brittany, elle, tenta une nouvelle approche.
— Je vais faire attention, tu sais, murmura-t-elle. Je suivrai tes conseils.
Il ne répondit pas.
Elle s'approcha doucement, l'observant comme on approche un chat mécontent. Puis, dans un élan impulsif, elle se pencha et déposa un baiser sur sa joue.
Il ne broncha pas.
— Passe une bonne journée, Severus.
Et elle quitta la pièce.
Mais derrière elle, Rogue ferma brièvement les yeux. Il s'était toujours vu comme un pion, un homme dont l'existence servait un but plus grand, sans attaches, sans avenir. Mais depuis qu'elle était entrée dans sa vie, tout cela lui semblait moins évident. Elle avait bouleversé son quotidien, s'insinuant dans son espace, dans ses habitudes, jusqu'à devenir une évidence. Il n'avait pas cherché cette proximité, pas voulu s'attacher. Et pourtant… il s'était habitué à sa présence, à sa chaleur, à la façon dont elle allégeait le poids des jours sans même s'en rendre compte. C'était une faiblesse, bien sûr. Une faille qu'il ne pouvait pas se permettre. Elle était devenue une cible. Et elle n'avait aucune idée du danger qu'elle courait. Il devait trouver un moyen de l'empêcher de s'y jeter tête baissée. Il ne pouvait pas la retenir ce matin, mais d'une manière ou d'une autre, il ferait en sorte qu'elle n'accomplisse jamais cette mission insensée.
oOoOo
Brittany quitta le château, ses bras croisés contre elle, comme pour se protéger du vent mordant. Malgré les airs qu'elle tentait de se donner, l'inquiétude lui nouait l'estomac. Elle savait que Rogue était en colère, mais au-delà de cette rage froide, elle percevait son inquiétude. Et cela ne faisait que renforcer la sienne. Elle n'avait aucune idée de la manière dont elle allait s'y prendre. Approcher les centaures… Pourquoi Voldemort voulait-il cela ? Quel était son véritable objectif ?
Perdue dans ses pensées, elle ne réalisa qu'une fois arrivée près de la Forêt Interdite où ses pas l'avaient menée. Elle s'arrêta près de la clairière des sombrals. Là, une silhouette familière était déjà présente. Drago. Il était debout, caressant distraitement la tête de la créature, le regard perdu dans le vide.
— Comment vas-tu ? demanda doucement Brittany en s'approchant.
Drago sursauta légèrement, puis haussa les épaules d'un air las.
— J'ai beaucoup de pression… souffla-t-il.
Il détourna le regard, hésitant, avant de soupirer.
— Je n'avance pas. Mon père me harcèle parce que… il en paie déjà les conséquences. Le Seigneur des Ténèbres ne sait pas attendre, et mon père … Il doit prouver qu'il est encore utile. Alors il me pousse. Il exige des résultats. Mais je ne sais pas comment faire.
Drago passa une main nerveuse sur son visage avant de lâcher, la voix plus basse :
— Il veut que je capture un centaure.
Brittany se figea.
— Capturer un centaure ?
Son ton était tranchant, presque brutal. Drago haussa les épaules, visiblement mal à l'aise.
— C'est ce qu'il a dit. Il veut un centaure. Pourquoi ? J'en sais rien. Mais vous pouvez imaginer à quel point c'est impossible. Déjà, ils ne veulent pas nous parler, alors les capturer… C'est suicidaire.
Brittany sentit un frisson parcourir son échine. On ne lui avait pas parlé d'un enlèvement. On lui avait seulement dit d'« approcher » les centaures. Mais si Voldemort voulait en capturer un… Qu'avait-il en tête ?
Le silence qui s'installa pesait lourd, et Brittany sentit une tension lui comprimer la poitrine. Les mots de Drago tournaient en boucle dans son esprit, menaçants, inquiétants. Capturer un centaure... C'était insensé.
— Tu devrais me tutoyer.
Drago releva brusquement la tête, surpris par cette remarque incongrue. Son expression était figée, comme s'il n'était pas sûr d'avoir bien entendu.
— Quoi ?
— Tu peux me tutoyer, reprit-elle d'une voix un peu trop rapide. Elle n'avait aucune idée de pourquoi ces mots-là lui étaient venus, précisément maintenant. Comme si elle cherchait désespérément un point d'ancrage, quelque chose de plus léger, de plus simple. Je me sens déjà assez vieille comme ça, ajouta-t-elle avec un sourire hésitant.
Il la dévisagea, l'air perplexe, avant qu'un léger sourire – un vrai sourire, timide mais sincère – n'apparaisse sur ses lèvres.
— D'accord, répondit-il doucement.
Ce n'était rien. Un détail. Une absurdité presque. Mais ce simple échange avait allégé un peu l'atmosphère lourde qui les entourait.
À quelques mètres d'eux, dissimulé derrière un buisson, Neville Londubat observait la scène avec méfiance. Il revenait de la lisière de la forêt, où il était allé examiner quelques plantes rares, lorsqu'il avait aperçu Drago Malefoy. Intrigué, il avait décidé de le suivre à distance, cherchant à comprendre ce qui pouvait bien l'amener ici à une heure aussi matinale.
Puis Brittany l'avait rejoint.
Neville s'était figé. Il ne pouvait pas entendre leur conversation, mais il voyait Brittany parler. Parler. Jusqu'ici, il l'avait toujours connue comme une femme discrète, presque effacée. Quoi que, après la journée de la Saint Valentin, il n'en était plus certain. Mais surtout… il la croyait muette. Pourtant, en cet instant, elle discutait avec Malefoy comme si de rien n'était.
Un frisson lui parcourut l'échine. Madame Rogue n'était donc pas celle qu'elle prétendait être. Elle était l'épouse de Severus Rogue, après tout. Et Malefoy… Malefoy avait grandi dans l'ombre des plus fidèles partisans de Vous-Savez-Qui. Il n'y avait qu'à voir son attitude depuis le début de l'année : plus distant, plus nerveux. Ils faisaient tous partie du même monde, celui des Mangemorts, il en était certain. Brittany Rogue ne pouvait pas être différente. Elle devait être comme son mari, comme Malefoy.
Mais alors, pourquoi Drago semblait-il si… vulnérable ? Neville plissa les yeux. Quelque chose se tramait. Et il comptait bien découvrir quoi.
