Chapitre 56
Les jours passèrent, pesants et incertains. Brittany sentait la pression monter autour d'eux, comme un étau invisible qui se resserrait un peu plus chaque jour. Son mari avait été convoqué à nouveau. Comme à chaque fois, elle avait attendu son retour avec cette angoisse sourde logée au creux de son ventre, redoutant qu'il ne revienne pas. Mais il était rentré. Vivant. Entier. Pourtant, quelque chose en lui semblait plus lourd, plus tendu. Il ne disait rien, mais elle voyait bien que son esprit était ailleurs. Elle aurait voulu lui parler. Mais il s'éloignait, et elle n'osait pas insister.
Alors, elle se concentra sur sa propre mission.
Elle avait élu domicile dans la bibliothèque, dévorant tout ce qu'elle trouvait sur les centaures. Mais plus elle avançait dans ses lectures, plus elle réalisait que la plupart de ces informations, elle les connaissait déjà. Hagrid le lui avait dit, bien avant qu'elle ne s'y intéresse d'elle-même, avec cette lueur mêlée de respect et de prudence dans les yeux.
Les centaures vivaient en clans, reclus dans la forêt, et méprisaient profondément les sorciers, les jugeant irresponsables et destructeurs. Leur société était hiérarchisée, organisée autour d'un chef de clan et de sages astronomes, et leurs lois étaient immuables. Ils ne partageaient que rarement leur savoir, et encore moins avec des humains. Hagrid l'avait prévenue : "Ils n'accordent leur confiance à personne. Ils n'oublient pas."
Elle avait ensuite tenté de les observer de loin. Après plusieurs jours de repérage, elle avait identifié une clairière où ils se réunissaient régulièrement, probablement pour scruter le ciel. À plusieurs reprises, elle s'était glissée parmi les arbres, veillant à rester invisible.
Ils étaient fascinants. De loin, ils ressemblaient à des silhouettes spectrales, mouvantes sous la lumière lunaire. Leurs corps équins se déplaçaient avec une fluidité presque irréelle, et leurs robes, variant du noir profond au brun doré, se fondaient dans l'ombre des arbres. Certains portaient des crins ornés de perles ou de plumes, d'autres arboraient des symboles tracés à même leur torse humain, comme des marques tribales. Mais c'étaient leurs yeux qui l'obsédaient le plus. Lumineux, perçants, comme s'ils reflétaient directement la lumière des étoiles qu'ils observaient sans relâche. Les voir ainsi, tournés vers le ciel, murmurant entre eux des vérités qu'elle ne pouvait comprendre, éveillait en elle un écho troublant.
Les étoiles l'avaient toujours fascinée. Enfant, elle rêvait d'en percer les mystères, de déchiffrer le langage secret des astres. Les centaures, eux, semblaient déjà posséder ce savoir qu'elle avait tant cherché. Pour eux, l'univers n'était pas un mystère à élucider, mais un livre ouvert dont ils savaient lire les signes. Peut-être était-ce cela qui la fascinait tant. Cette impression qu'ils détenaient des réponses qu'elle n'avait jamais eu l'occasion d'apprendre, elle qui avait rêvé de devenir astrophysicienne. Que leurs yeux voyaient plus loin qu'elle ne le pourrait jamais. Mais Hagrid avait raison. Ils ne lui parleraient jamais. Ils ne l'accepteraient pas. Pourtant, une certitude germa en elle : ils cherchaient la même chose. Une façon de comprendre. De donner du sens au chaos du monde.
Cette fois, elle devait aller plus loin. Ce n'était plus seulement observer les centaures de loin, il fallait les approcher, les convaincre de lui parler. Mais comment ? Son instinct lui criait que c'était une folie. Et pourtant, elle avançait.
Elle porta instinctivement la main à sa poche, effleurant le tube argenté dissimulé à l'intérieur. Cela faisait des semaines qu'elle n'y avait pas touché. Severus veillait au grain, confisquant ses cachets à chaque occasion. Les premiers jours avaient été difficiles—son corps réclamait ce dont il s'était accoutumé. Mais à force d'entraînement sous sa supervision, elle avait fini par abandonner.
Jusqu'à maintenant.
Elle inspira profondément. Son cœur battait trop vite, son esprit vacillait. Elle devait se ressaisir. Ici, maintenant, elle ne pouvait pas se permettre de perdre pied.
Ce n'était pas sa magie qui était instable. C'était elle.
Ses leçons avec Rogue s'étaient bien déroulées, mieux qu'elle ne l'aurait cru. Elle avait progressé, appris à canaliser cette force qu'elle avait toujours crainte. Et pourtant… ces derniers jours, tout lui semblait plus fragile. Depuis que Rogue s'était éloigné, depuis que leur relation s'était tendue, elle n'arrivait plus à retrouver cette confiance qu'il avait su insuffler en elle. Elle se sentait à nouveau seule face à ce pouvoir qu'elle ne maîtrisait qu'à moitié.
L'obscurité de la Forêt Interdite l'enveloppait comme un voile oppressant. Les arbres millénaires semblaient se resserrer sur elle, et chaque craquement de branche sous ses pas résonnait dans le silence glacé. Après plusieurs minutes d'une progression prudente, elle distingua enfin des silhouettes au loin, entre les troncs noueux. Un groupe de centaures.
Son cœur s'emballa. Elle s'approcha lentement, les mains bien en évidence, espérant ne pas paraître menaçante. Mais à peine eut-elle fait quelques pas supplémentaires qu'un sifflement strident fendit l'air.
Une flèche vint se planter à quelques centimètres de son pied.
Brittany se figea, les yeux écarquillés.
— Ne va pas plus loin, sorcière.
La voix était grave, autoritaire. Les centaures la fixaient, leurs regards emplis de mépris et de défiance. L'un d'eux, arc tendu, la surveillait, prêt à tirer s'il le fallait.
— Tu n'es pas la bienvenue ici. Pars.
Elle voulut parler, mais un deuxième centaure s'avança d'un pas sec, martelant le sol de son sabot.
— Nous ne traiterons pas avec une envoyée des Hommes. Recule, maintenant.
La menace était claire. Elle n'avait aucune chance de discuter avec eux. Le souffle court, elle recula, les mains tremblantes. Mais alors qu'elle battait en retraite, son regard capta un mouvement à sa gauche.
Une forme gigantesque, cachée par les arbres.
Elle plissa les yeux et son cœur manqua un battement. À une cinquantaine de mètres, une silhouette massive se détachait dans la pénombre. Une créature immense, plus grande qu'un troll. Un géant. Le choc la cloua sur place.
Elle savait que la Forêt Interdite abritait des créatures dangereuses, mais elle n'avait jamais imaginé y croiser un géant. Sa gorge se serra, son souffle se bloqua une fraction de seconde. C'était absurde. Il ne lui avait rien fait. Il n'avait même pas bougé. Mais son instinct, lui, hurlait de fuir. Une peur viscérale, primitive, s'empara d'elle, balayant toute autre pensée. L'adrénaline explosa dans ses veines. Elle fit volte-face et s'élança vers le château, ses jambes en feu, son souffle court. Derrière elle, la forêt reprit son murmure habituel, indifférente à sa panique.
Lorsqu'elle franchit la porte de leurs appartements, son cœur battait encore à tout rompre. Elle s'adossa un instant contre le mur, reprenant difficilement son souffle. Mais elle n'eut pas le temps de se calmer.
— Tu es allée dans la Forêt.
La voix claqua comme un fouet. Rogue était là, dans l'ombre, les bras croisés, son regard brûlant d'une rage contenue. Brittany ferma brièvement les yeux. Bien sûr qu'il savait.
— Tu es en vie, c'est un miracle.
Il s'approcha lentement, chaque pas chargé de tension.
— Dis-moi que tu n'as pas essayé d'entrer en contact avec eux.
Elle soutint son regard.
— Je n'ai pas eu le temps, ils m'ont chassée avant même que je puisse dire un mot.
— Par Merlin, Brittany, tu joues avec ta vie ! gronda-t-il. Abandonne cette mission avant qu'il ne soit trop tard. Je m'en occupe, je ferai ce qu'il attend à ta place.
Elle fronça légèrement les sourcils.
— Tu sais bien que ce n'est pas possible.
— Pas possible ? répéta-t-il avec un ricanement amer. Bien sûr que c'est possible. Mais tu choisis de t'entêter.
Elle ouvrit la bouche, mais il la coupa d'un ton tranchant.
— Tu n'as même pas conscience du danger.
Il serra les poings, les traits crispés par une tension qu'il peinait à contenir. Brittany perçut son inquiétude sous sa colère. Il ne pouvait pas lui dire qu'il savait ce qui se tramait. Que Voldemort n'attendait pas seulement un contact avec les centaures. Que ce n'était qu'une première étape. Il ne pouvait pas lui dire qu'il avait peur. Alors il fit ce qu'il savait faire de mieux. Il se renferma.
— Et toi as-tu conscience de ce qu'il se passera si je ne fais pas ce qu'il me demande? Qu'est-ce qu'il te fera?
— Il ne me fera rien. Je te demande de me laisser gérer ce problème et de te tenir à l'écart des centaures. Je m'en occupe.
— Il veut me tester, moi. Si nous n'obéissons pas, il te tuera!
— Dumbledore t'a manipulé, il veut tout autant que le Seigneur des Ténèbres que tu essayes de les rallier à sa cause. Il t'a raconté ce que tu craignais d'entendre pour t'amener à accepter sans broncher. Et toi, naïve, tu l'as cru. Le Seigneur des Ténèbres veut que quelqu'un le fasse, peu importe qui.
— Severus—
— Tu es inconsciente. Fais ce que tu veux, après tout, je m'en fiche.
Il tourna les talons et quitta la pièce d'un pas brusque. Brittany resta figée, le cœur serré, même si elle savait que, derrière cette froideur, il cherchait à la protéger.
Ce qu'elle ignorait, c'était à quel point Rogue se battait contre lui-même. Il revoyait son visage inquiet, il entendait encore ses mots. "Je ne veux pas qu'il s'en prenne à toi." Il devait l'éloigner. Elle ne devait pas avoir peur pour lui. Elle devait avoir peur pour elle. Alors il deviendrait plus froid. Plus dur. Il mettrait un mur entre eux, s'il le fallait. C'était le seul moyen de la protéger.
oOoOo
Neville Londubat observait Drago depuis plusieurs jours. Il l'avait surpris plusieurs fois à la lisière de la Forêt Interdite, toujours au même endroit, près des sombrals. Et Neville, curieux, avait fini par le surveiller. Quelque chose clochait. Drago Malefoy n'était plus le même.
Il était seul. Silencieux. Son arrogance avait disparu. Et ce matin-là, en le voyant caresser distraitement l'encolure d'un sombral, Neville se sentit profondément troublé. Drago Malefoy, touchant un sombral ? L'aristocrate tourna la tête et croisa son regard.
Un long silence s'installa.
— T'arrêtes de m'espionner, Londubat ? Qu'est-ce que tu me veux? lança Drago sans agressivité.
Neville hésita. D'habitude, Drago aurait déjà craché son mépris avec une phrase assassine. Il se serait moqué. Il lui aurait envoyé un sort. Mais pas aujourd'hui.
— Tu les vois ? demanda Drago après un instant.
Neville fronça les sourcils.
— Les sombrals ? Oui.
Drago détourna le regard.
— Moi aussi.
Neville sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il connaissait la règle. On ne pouvait voir ces créatures que si l'on avait été témoin de la mort.
Drago reprit d'une voix plus basse :
— J'aurais préféré que ce ne soit pas le cas.
Neville ouvrit la bouche, mais aucun mot n'en sortit. Drago Malefoy venait de se confier à lui. Sans moquerie. Sans méchanceté. Neville n'avait jamais vu le Serpentard comme ça. Il ne savait pas quoi dire. Alors il se contenta de hocher la tête. Et, pour la première fois, il ne vit plus en lui un ennemi.
