Chapitre 57
La forêt était étrangement silencieuse lorsqu'elle s'y aventura à nouveau. Brittany savait qu'elle aurait dû s'arrêter, que sa dernière incursion aurait dû suffire à la dissuader. Mais quelque chose, un mélange de curiosité et d'inquiétude, la poussait à retourner là-bas. À retourner auprès de lui.
Ce n'était pas une décision totalement insensée, se rassura-t-elle en avançant prudemment entre les arbres. Après tout, si elle ne pouvait pas approcher les centaures, elle pourrait peut-être leur faire croire que ce n'était pas eux qu'elle cherchait. S'ils l'acceptaient aux abords de leur lieu de rassemblement en pensant qu'elle s'intéressait à autre chose, elle aurait plus de chances de les observer et de comprendre leur organisation. Et puis… Voldemort voulait qu'elle se rapproche des centaures, mais s'il apprenait qu'elle avait plutôt approché un géant, cela pourrait-il compenser son échec ? Après tout, les géants étaient des armes redoutables. Si elle parvenait à l'amadouer, ce serait une information précieuse à lui rapporter. Mais, au fond, elle savait que tout ça n'était qu'une suite d'excuses bien construites. La vérité était plus simple. Plus instinctive. Elle voulait juste le voir.
Elle n'avait pas distingué d'autres géants dans la forêt, ce qui était étrange. Les centaures vivaient en clans, les Sombrals en troupeaux… mais lui ? Il était seul. Il n'avait pas fui lorsqu'elle l'avait aperçu, mais il ne s'était pas approché non plus. Il semblait… en dehors de tout. Comme une anomalie dans cet écosystème déjà si particulier.
Brittany avait un pressentiment. Elle ne savait pas si c'était son instinct ou juste son imagination qui parlait, mais quelque chose ne tournait pas rond. Et elle devait comprendre pourquoi.
Elle progressa lentement, écartant les branches noueuses qui s'accrochaient à sa robe. Chaque craquement sous ses pas résonnait trop fort dans le silence oppressant de la Forêt Interdite. L'air était plus lourd, chargé d'une odeur de mousse humide et de bois ancien. Sans même s'en rendre compte, elle ralentit légèrement, un malaise grandissant en elle. Elle s'arrêta et scruta les environs. Quelque chose l'observait. Elle en était sûre. Elle sentait une présence. Non menaçante, mais indéniable. Son souffle se bloqua lorsqu'elle leva les yeux. Une lueur rouge et or scintillait parmi les branches, presque irréelle. Un oiseau de feu la regardait, perché sur une branche basse. Fumseck.
Brittany sentit son cœur rater un battement. Le phénix pencha doucement la tête sur le côté, l'observant avec une bienveillance indéchiffrable. Elle frissonna. Était-ce une coïncidence ? Elle doutait que Dumbledore laisse son précieux phénix errer au hasard. Dumbledore la surveillait. Cela aurait dû la rassurer, mais au lieu de ça, elle se sentit oppressée. Comme un rat de laboratoire sous observation.
Un instant, elle hésita. Elle détourna les yeux du phénix et reprit sa route. Et puis, elle le vit. Le géant était là, plus proche qu'elle ne l'aurait imaginé. Il était accroupi, triturant maladroitement une branche tordue, comme un enfant perdu dans ses pensées. Son immense silhouette se fondait dans l'ombre des arbres, sa peau épaisse marbrée d'égratignures et de cicatrices. Des marques laissées par le temps. Par la forêt. Par les centaures, s'avoua-t-elle. Il n'était pas toléré ici, contrairement à ce qu'elle avait pu s'imaginer.
Elle aurait dû s'arrêter là, faire demi-tour. Mais elle fit un pas en avant. Son cœur s'emballa. Le géant redressa la tête, ses petits yeux sombres se posant immédiatement sur elle. Il grogna doucement, méfiant et Brittany sentit sa peur vaciller. Elle s'attendait à l'hostilité brute, à la sauvagerie d'un géant prêt à broyer tout ce qui s'approchait trop près. Mais ce n'était pas ce qu'elle voyait. Il était juste intrigué. Sa méfiance était là, mais il n'y avait pas cette violence pure que l'on prêtait aux siens.
Elle déglutit, immobile. L'espace d'une seconde, elle eut l'impression qu'il l'attendait. Et alors, sans même s'en rendre compte, elle brisa le silence.
— Je ne veux pas te faire de mal, souffla-t-elle.
À peine sa voix s'éleva-t-elle qu'elle se raidit. Pourquoi avait-elle parlé ? Elle, qui s'était toujours murée dans le silence, venait de prononcer ces mots sans réfléchir. Comme si elle ne pouvait pas s'en empêcher.
Le géant pencha légèrement la tête, observant l'humaine avec une intensité nouvelle. Brittany leva lentement une main en signe de paix, consciente qu'un seul faux mouvement pouvait suffire à tout faire basculer. Et pourtant, contre toute attente… Il fit un pas vers elle.
Ses lourds pieds écrasèrent la végétation sous lui, secouant le sol à chaque mouvement. Il était immense, puissant, mais ses gestes n'étaient ni agressifs, ni précipités mais plutôt maladroits, pataud. Brittany retint son souffle alors qu'il tendait un bras massif dans sa direction, ses doigts aussi épais que des branches noueuses. Il pouvait l'écraser d'un seul geste. Il l'observa, son regard sombre fixé sur elle, comme s'il essayait de comprendre. Un énième frisson parcourut l'échine de Brittany. Il n'était pas une bête sauvage. Il était seul. Comme elle.
Mais soudain, un sifflement strident fendit l'air. Brittany eut à peine le temps de réagir avant qu'une flèche ne vienne se ficher dans un arbre, à quelques centimètres de son visage. Elle sursauta violemment et se retourna d'un bond. Les centaures étaient là. Ils étaient six, perchés sur la crête d'un petit relief boisé, leurs silhouettes imposantes se découpant dans l'ombre des arbres. Leurs arcs étaient levés, pointés droit sur le géant.
— Partez ! tonna l'un d'eux, sa voix résonnant avec autorité.
Le géant se redressa, agité, grognant sourdement. Brittany, elle, sentait son cœur cogner violemment dans sa poitrine.
— Laissez-le ! s'exclama-t-elle en se plaçant instinctivement devant le géant, sa propre audace la terrifiant.
Elle aurait dû fuir. Se taire. Mais les mots jaillissaient sans qu'elle puisse les retenir.
Les centaures la fusillèrent du regard. Un nouveau sifflement fendit l'air. Brittany vit la flèche partir droit vers elle. Elle ne put qu'écarquiller les yeux. Mais un rugissement assourdissant lui coupa l'ouïe. Le géant s'interposa. D'un geste brutal, il la projeta derrière lui, faisant barrage de son immense corps. La flèche ricocha contre sa peau épaisse sans même l'égratigner. Mais les centaures ne comptaient pas s'arrêter là. Déjà, un autre armait son arc.
— Éloignez-vous de lui ! hurla-t-elle.
Mais elle n'eut pas le temps d'insister. L'un des centaures, plus jeune et plus impulsif, se précipita vers elle. Il ne lui fallut que quelques foulées pour arriver à sa hauteur, et avant qu'elle ne puisse esquiver, il la frappa violemment à l'épaule avec ses sabots. Brittany tomba lourdement au sol, le souffle coupé par l'impact. Une douleur fulgurante explosa dans sa clavicule. Elle sentit le goût du sang envahir sa bouche, sa tête heurtant brutalement la terre humide.
— Les sorciers ne sont pas les bienvenus ici ! cracha le centaure, son regard d'acier braqué sur elle. Ni les sorciers, ni les géants.
Au-dessus d'eux, un cri strident fendit les cieux. Fumseck. Le phénix plongea en piqué, laissant une traînée dorée dans son sillage. Son chant, puissant et vibrant, résonna entre les arbres, emplissant l'air d'une énergie presque irréelle. Les centaures reculèrent instinctivement, troublés par l'apparition soudaine de l'oiseau légendaire.
Elle essaya de se redresser, mais une autre vague de douleur la traversa, la laissant pantelante. Puis… elle entendit des pas. Des pas précipités.
— Brittany !
Sa vision encore trouble, elle tourna faiblement la tête. Une silhouette s'approchait.
oOoOo
Drago était venu voir les Sombrals. C'était devenu une habitude. Se tenir auprès d'eux, les observer, laisser son esprit dériver dans le silence pesant de la forêt. Avec eux, il n'avait pas besoin de prétendre, pas besoin de jouer un rôle. Juste un instant de répit, loin de tout. Mais ce matin-là, quelque chose troubla cette accalmie. Un bruit lointain. Un tumulte inhabituel. Il redressa la tête, aux aguets. Des cris. Un éclat de panique dans une voix qu'il connaissait. Brittany.
Son sang se glaça. Elle était bien trop loin. Bien trop profondément enfoncée dans la forêt. Là où elle n'aurait jamais dû être. Sans réfléchir, il s'élança dans la direction du vacarme, ignorant les branches qui fouettaient son visage, le sol irrégulier qui menaçait de le faire trébucher. Il ne savait pas encore ce qu'il allait trouver. Mais il savait qu'il ne pouvait pas faire demi-tour.
Et ce qu'il vit le cloua sur place. Brittany, au sol. Un centaure la surplombait, l'air furieux. Un géant s'agitait en arrière-plan, repoussant les flèches d'un revers de bras rageur.
Drago serra les poings. Il tourna brusquement les talons et détala à toute vitesse.
— HAGRID !
Le garde-chasse sursauta violemment en entendant son nom. Il était avec Neville, en train d'examiner un parterre de plantes en bordure de forêt. Mais lorsqu'il aperçut Malefoy, essoufflé et livide, il se redressa immédiatement.
— Qu'est-ce que t'as foutu encore ?! grogna-t-il.
— Ce n'est pas moi ! cracha Drago. C'est Brittany !
Neville releva la tête d'un coup.
— Quoi ?
— Les centaures… Il inspira difficilement. Ils vont la tuer.
Il n'en fallut pas plus. Hagrid bondit sur ses pieds et s'élança dans la forêt, suivi de près par Neville et Drago. Il espérait seulement qu'ils arriveraient à temps.
