En-cas nocturne
«Ce soir, tu auras tout le temps qu'il te faudra étant donné que tu n'iras nulle part. Si tu veux rester ici à bouder, ça te regarde, et je ne t'en voudrai pas. Mais si tu descends avec Dawn et moi, je nous ferai un bon petit dîner.»
Sur ces mots, Joyce était partie, refermant la porte de la chambre derrière elle, laissant sa fille consternée.
Buffy s'appuya contre la porte du placard, prit une grande inspiration et expira. Rester à la maison, passer une soirée tranquille avec sa mère et sa sœur, elle aurait bien voulu! En plus, depuis qu'on lui avait parlé de dîner, elle s'apercevait qu'elle commençait à avoir faim.
Malheureusement, ce n'était pas possible: elle avait une Moisson maléfique à empêcher, et des vies humaines, voire le sort du monde, en dépendaient! Se faufiler dehors pour découcher comme une ado rebelle, trahir la confiance de sa mère, et tout ça pour aller risquer sa propre vie, ne la réjouissait pas, bien au contraire. Mais elle savait qu'elle n'avait pas le choix. Si le Maître parvenait à se libérer, plus personne ne serait en sûreté.
Buffy rassembla son courage. C'était aussi pour sa mère et sa sœur qu'elle allait combattre, même si Joyce et Dawn en ignoraient tout, et ne devaient surtout pas le découvrir.
Elle ouvrit son placard et en sortit un coffre: son nécessaire de travail, renfermant ses outils de Tueuse: assortiment de pieux, gousses d'ail, flacons d'eau bénite... Bref, les instruments d'un savoir-faire artisanal digne d'un film d'épouvante, et Buffy n'en revenait toujours pas que ce bric-à-brac fût devenu son quotidien. Mais la destinée l'avait choisie, alors… La destinée devait avoir un sens de l'humour discutable. Elle s'équipa comme il se devait, puis referma et rangea le coffre.
Après s'être approchée de la porte pour s'assurer que sa mère ou pire, sa sœur – Dawn était une redoutable fouineuse – ne se trouvaient pas à proximité, elle ouvrit sa fenêtre, et plongea dans la nuit. Il lui faudrait sauver le monde, le ventre vide.
Cette nuit-là, la Tueuse combattit avec autant d'astuce que de bravoure, déjouant les projets du Maître, et remportant une victoire digne d'être consignée dans les annales des Observateurs. En tout cas, Giles rédigea un rapport élogieux. Quant à savoir si le Conseil des Observateurs en tint compte ou en fit le moindre cas, c'est difficile à dire. Au bout de quelques millénaires de victoires répétées, quoi que chèrement payées par des générations de Tueuses, sur les forces du Mal, d'aucuns finissent par prendre le sauvetage du monde comme un dû…
Buffy rentra chez elle, se glissant par sa fenêtre au beau milieu de la nuit, en faisant bien attention à ne pas faire de bruit pour ne réveiller personne. Elle y parvint, c'était le point positif.
Le point négatif, c'était que désormais, son estomac criait famine. Rien de très étonnant: les patrouilles nocturnes lui donnaient toujours faim. Rien de mieux que de livrer un combat à mort pour vous ouvrir l'appétit! Hélas, il n'y avait pas de remède à cela. Elle aurait bien voulu descendre pour chercher quelque chose à manger dans le frigo, mais c'était bien trop risqué: si sa mère l'entendait et lui demandait des explications, elle se trouverait dans une situation des plus embarrassantes.
Buffy, affamée mais résignée, s'apprêtait à aller se coucher pour une nuit trop courte, lorsqu'elle remarqua, posée sur son bureau, une assiette garnie d'un sandwich. S'approchant avec surprise et un brin d'inquiétude – quelqu'un s'était donc aperçu de son absence? – elle trouva à côté du sandwich un feuillet où l'on avait écrit un mot. Déchiffrant l'écriture encore enfantine et très reconnaissable de sa sœur, elle y lut:
J'ai préparé ça pour toi car tu auras sans doute faim en rentrant.
Ne t'inquiète pas, Maman n'a pas vu que tu étais sortie, et je ne lui dirai pas.
Je ne te demande pas de me dire où tu vas la nuit, ce n'est pas mes affaires.
Mais fais attention à toi.
Je t'aime.
Dawn
Buffy était sidérée, partagée entre la stupeur et la gratitude. Que Dawn n'ait pas couru la dénoncer à leur mère en s'apercevant de sa fugue, c'était déjà difficile à croire, mais qu'elle lui ait témoigné une pareille sollicitude, elle n'en revenait pas! Machinalement elle mordit un coin du sandwich, le mâcha, l'avala avec un plaisir évident.
Il était fourré au fromage de tête. Sa sœur, qui détestait ça, s'était pourtant souvenue de ses goûts.
Buffy eut un léger sourire.
«Merci, Dawnie.»
