Béguin

Les trois Summers étaient réunies autour de la table de la cuisine pour le dîner. Joyce, qui regrettait d'être parfois trop accaparée par son travail à la galerie pour être aussi présente pour ses filles qu'elle l'aurait voulu, en profita pour s'enquérir:

«Tout se passe bien à l'école, les filles? Du nouveau?»

Dawn répondit distraitement en enroulant ses spaghettis autour de sa fourchette:

« Les épinards à la cantine sont infects. Les garçons sont bêtes, toujours à brailler et à jouer à des jeux idiots. Et je crois que M. Stoker devrait arrêter le café, il a les nerfs en compote. Mais à part ça, ça va. Je me suis fait une amie, Janice, elle est gentille et elle m'a prêté son livre de coloriage.

– Et de ton côté, Buffy?

– Rien de spécial… Ah, si, nous avons une nouvelle prof de biologie, Ms French. Elle remplace M. Gregory. Elle a l'air très passionnée par toutes ces drôles de bestioles… Plutôt jolie… Et elle portait une jupe plutôt courte pour une prof, les garçons de la classe en étaient tout… motivés pour étudier. Vous auriez dû voir Alex, il était si… motivé pour étudier… qu'il en bavait presque.

– Quoi? Alex? se récria Dawn avec colère. Pour une prof? Mais c'est dégoûtant! Une prof n'a pas à «motiver» des élèves comme ça! On devrait la virer! Il faut la signaler à la direction!»

Dawn s'interrompit dans sa tirade en remarquant que sa mère et sa sœur la regardaient d'un drôle d'air.

« Dis donc, moustique, la taquina Buffy, tu ne serais pas un peu jalouse, toi? Je le savais! Tu as le béguin pour Alex, hein? Oh, si c'est pas mignon, ma petite sœur a son premier béguin, c'est adorable!»

Dawn cacha dans ses mains son visage rouge d'embarras et, se levant de table, elle s'enfuit de la pièce.

«Chérie, reviens, tu n'as pas fini tes pâtes!» la rappela Joyce.

Mais Dawn ne reparut pas. Il fallut que Buffy, le repas terminé, allât la débusquer dans sa chambre. La petite fille était assise en tailleur sur son lit, ramassée sur elle-même et l'air triste et confus. Mais elle ne protesta pas quand sa grande sœur vint s'asseoir à côté d'elle et la prit dans ses bras.

«Excuse-moi, Dawn. Je n'aurais pas dû te taquiner. Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise.

– C'est pas ta faute, dit la fillette en faisant la moue. C'est à moi que j'en veux pour avoir des sentiments aussi stupides. Alex n'est pas pour moi, il est trop vieux, je ne suis qu'une gamine. Même s'il n'y avait pas cette prof, c'est pour toi qu'il a le béguin, et après je sais bien qu'il y aura une autre fille, et puis une encore autre… Je ne suis pas idiote, je sais bien que je n'ai aucune chance.

– Dawnie, tu ne dois pas déjà te tracasser pour ça. Tu es encore une petite fille, tu as tout le temps du monde. Mais un jour, quand tu seras grande, tu rencontreras un garçon gentil qui te rendra heureuse. J'en suis sûre.»

Dawn ferma les yeux et se blottit contre sa sœur. Elle pouvait sentir battre le cœur de Buffy, et c'était merveilleux. Dans son ancienne vie, après la bataille contre Gloria, il lui était arrivé plusieurs fois de se pelotonner contre le Buffy-robot, cherchant une miette de réconfort. Mais ce n'était pas pareil.

Le robot n'avait pas de cœur.

«Quelle idée démodée, Buffy, comme si une fille avait besoin d'un garçon pour la rendre heureuse! Et puis d'abord, je suis déjà heureuse…

– Vraiment, tu l'es?»

C'était réconfortant à entendre. Avec les responsabilités de Tueuse dont on l'avait investie, Buffy aurait eu du mal à dire si elle était heureuse. Si au moins sa sœur l'était, c'était le plus important.

«Je le suis, répondit Dawn avec assurance. Je suis heureuse avec Maman et toi. Vous êtes mon paradis, tu sais.

– Ton paradis?

– Oui, acquiesça Dawn. Vous êtes tout pour moi. Quand Maman ou toi me prenez dans vos bras, je me sens si bien. Aimée. En sécurité, et en paix. Pour moi, c'est ça mon paradis.»

Buffy pressa un baiser sur les cheveux de sa sœur. Elle devait aller patrouiller, elle avait rendez-vous avec Giles. Mais elle eut énormément de mal à relâcher Dawn de son étreinte ce soir-là.